Quand on travaille le théâtre, pas dans un théâtre, mais avec le théâtre comme outil vivant de transport de sens, transport collectif pour le coup, le simulacre, c’est le quotidien. Avec la compagnie ilotopie que je pilote, nous pratiquons un théâtre populaire, c’est-à-dire que nous ne jouons que dans des espaces publics de la ville ou de ses jardins pour des publics d’opportunité, je veux dire un public, une population souvent désabonnée des cultures du huis-clos, aux seuils infranchissables pour beaucoup ; presque un public fortuit. Faire groupe éphémère dans des espaces communs, en offrant un spectacle inscrit dans la ville, a toujours été et reste le projet du groupe ilotopie.
Aucun rapport économique entre ces spectacles et les spectateurs, le regard est gratuit, on ne paie pas pour voir, comme d’un paysage, comme d’un accident. A la compagnie de trouver les fonds, souvent publics, parfois privés, en essayant que la couleur de ces fonds n’impacte pas le sens de nos propositions. Autre tentative d’équilibriste, dans des exhibitions sans paroles, entretenir des polysémies très libres d’interception et d’appropriation, faire circuler dans des formes non narratives des imaginaires aptes à faire image pour chacun et finalement récit, mais récit qui ne sera plus le nôtre. Là, les contes viennent du contexte, story telling qui se pose sur une urbanité souvent en attente d’histoires ; des artistes font parfois parler la ville, le fond de la ville, comme une personne ; la ville est une personne.
C’est ici que le simulacre intervient, puisque nous allons « agiter » des figures, mythes archaïques ou récents, totems ou artefacts, avatars ou fantômes, en tous cas actrices et acteurs chargés de signes, sans être cependant caricaturaux. L’acteur produit son acte. Juste comme chacun produit sa vie, mais là, c’est en toute conscience, à vue et pour être reçu, perçu et capté comme simulation ; aussi parce que simuler interroge, comme une fake news interroge aussi par la satire qu’elle révèle. Simuler, c’est aussi inventer des modèles mal accrochés au réel, des utopies de vies et de comportements, parfois des idoles et des déraillements.
Depuis quelques années, peut-être devant les étiolements des espaces publics et l’organisation des mobilités, avec leurs prédictions intangibles, notre compagnie a choisi d’aller faire théâtre sur les eaux, ces eaux qui sont à l’origine des villes, mer, fleuves et rivières, lacs. La surface de l’eau est notre plateau et techniquement, on doit se débrouiller avec ça. Les publics sont invités sur les berges ou les quais ; parfois les plages. Dans ces espaces publics encore très libres, les eaux des villes, nous installons des scénographies éphémères et jouons, avec une quinzaine d’acteurs, sur un plateau aquatique de la taille d’un terrain de football, des spectacles d’une sorte de théâtre de comportement, où l’homme semble miraculeusement adapté à la montée des eaux. Ici tout glisse, apparait et disparait, compose des tableaux successifs dont on n’arrive pas à tout voir, peut-être une histoire à résoudre en permanence, sans héros.
Bruno Schnebelin, directeur artistique